dimanche 14 septembre 2008

Qu'est-ce que l'Occitanie?

L'auteur de cet article est l'écrivain, aujourd'hui disparu, Henri Montaigu. Homme de tradition, passionné par l'histoire du Moyen-Âge et par l'épopée royale, admirateur de René Guénon et de Georges Bernanos, Montaigu, c'est une "idée certaine" de la France défendue dans un style incomparable. Le texte ci-dessous, extrait d'un bulletin devenu site Internet:"La place royale" analyse le fait occitan tel qu'il est et non tel que ses défenseurs actuels le pensent. Un texte de référence écrit par un fils d'Aquitaine. S. Chapus


On nous a longtemps raconté la belle - trop belle peut-être et fallacieuse à plus d'un titre - histoire du "Pré-Carré" patiemment aménagé par les Rois Capétiens, et devenu, au XXème siècle, sous le couvert des métamorphoses de l'image et de la politique cet "Hexagone" qui en marque la forme et l'unité définitives.

Eh bien, il est curieux de constater qu'au moment où on la définissait ainsi (il y a vingt ans) des mouvements divers se faisaient jour ici et là, ne visant à rien moins que la partition plus ou moins absolue, morale et culturelle d'abord, politique un jour peut-être, de la Patrie unique, et si chèrement acquise de tous les français.


Ces mouvements divers ont parfois des motivations saugrenues. Si nul ne peut nier que la Corse soit une île, si l'on ne trompe personne en affirmant que la Bretagne est différente et que le breton est une ancienne langue qu'il est important de sauver serait-ce in extremis, on ne voit pas trop sur quoi se fonde l'invention parfaitement arbitraire de "l'occitanie".


On peut certes accuser la dictature de Paris (mais Paris n'est-il pas notre sacrifice à l'universel, ne représente-t-il pas aussi le meilleur de nous-mêmes venu de partout, notre bien commun ?) de créer des particularismes de révolte fondés sur l'aménagement parfois tragique et toujours difficile du monde moderne. Les provinces - certaines provinces - secoueraient donc le joug de la lourde machine de l'État centralisateur, égalitaire et massifiant, qui est la "tradition" du Jacobinisme, lui-même héritier sur ce point de Colbert. Mais on ne combat pas un mal, d'ailleurs connu depuis vieux temps, par des méprises qui vont tout à la fois contre la naturelle évolution des choses - et contre la réalité historique, ethnique et géopolitique.


Ce mal, veut-on d'ailleurs le combattre ou créer à tout prix une situation de trouble et de mécontentement ? Quand on nous parle de "Douze siècles de résistance" à une prétendue "hégémonie française" et qu'on met bout à bout pour en faire un tout continu de révolution, toutes les révoltes - populaires, aristocratiques ou religieuses - toutes les hérésies, toutes les réclamations, toutes les grognes à l'impôt, la distorsion des faits est patente, et nul doute alors qu'on ne prétende aller bien au-delà des problèmes qui se posent ici et aujourd' hui. Ainsi peut-on créer, en falsifiant l'Histoire dans un but évident, des Bretagnes factices et de Fausses Occitanies. La modernité et la fortune récente de ce dernier terme sont d'ailleurs suspectes.


Parmi tous les prétextes historiques mis en valeur et artificiellement reconduits par une abondante littérature, le plus important est sans doute le drame cathare. La résurrection de cette doctrine, lugubre à bien des égards, porte en soi deux paradoxes. Elle est d'une part étrangère au Languedoc, n'y a rien créé, y a au contraire beaucoup détruit par son caractère hétérogène et suicidaire, son gnosticisme extériorisé en "pseudo-religion" de ce que l'Aquitaine et la Provence ont su sauvegarder. Car outre qu'elle est loin d'avoir recouvert tout le Sud, on oublie toujours que la "croisade", si atroce qu'elle nous paraisse, trouve une légitimité d'intention, sinon de fait, quand on s'avise que ceux qui ont combattu l'albigéisme entendaient lutter contre le génie même de la mort et de la destruction de tout ce qu'ils étaient, de tout ce à quoi ils tenaient et qui menaçait d'être englouti. Second paradoxe, qu'a-t-elle de commun, cette religion du silence, de la pureté et de la négation de la vie terrestre, avec la mentalité, les aspirations et les croyances du monde moderne ?


De quoi s'agit-il en outre ? De nous faire croire que le Nord (Français) a colonisé le Sud (Occitan) à la suite de la catastrophe du catharisme du XIIIème siècle. Mais il n'y a jamais eu de véritable frontière - linguistique ou autre - entre le Nord et le Sud. Et ce Sud lui-même n'est, contrairement à ce que prétendent les "occitanistes" qu'une mosaïque de pays variés aux destins divergents. Chacun sait, en ce qui concerne la langue que d'une part, c'est partout en France que pendant longtemps les élites religieuses parlaient et écrivaient le latin - jusqu'à ce qu'il soit remplacé par le français. Et que d'autre part, également dans tous les pays de France, les dialectes locaux (anciennes langues ou simple patois) continuaient d'exprimer dans l'immense marge populaire, en la reconduisant, une civilisation antérieure de caractère oral. Leur anéantissement, non encore définitif, date des cinquante ou vingt-cinq dernières années, et il est en rapport direct avec la mutation de la société en mode urbain et industriel. Il s'agit peut-être d'une "colonisation" - mais elle est d'un tout autre ordre. Quand on nous dit par exemple que le Midi de la France est devenu le "lave-cul" de la "civilisation industrielle", il faut s'entendre : si le soleil et la mer sont aujourd'hui des biens de consommation d'où découlent un enrichissement fallacieux et un enlaidissement du paysage, - si la société industrielle est une mauvaise chose, formidable machine d'esclavage, productrice de bruit et de laideur, anti-naturelle où l'homme ne retrouve ni sa mesure ni sa respiration, pourquoi ne pas le dire dans ces termes ? Si le modernisme est avilissant, il l'est partout. Il ne servirait à rien par conséquent de découper la France en morceaux. Le Midi n'est pas la seule victime : la province française qui a été le plus irrémédiablement saccagée par la civilisation industrielle et la centralisation excessive est justement l'Île de France. Là comme ailleurs, les gens qui avaient la terre n'ont pas su résister à l'illusoire tentation de l'argent. Mais n'ont-ils pas obéi à une nécessité plus grande qu'eux - qui n'est pas d'ordre politique - et qui n'est d'ordre ploutocratique qu'au second degré. Nous ne connaissons pas d'écologiste qui, après avoir fait le bilan de la détérioration culturelle et biologique où nous nous trouvons engagés, soit déterminé à renoncer aux avantages qui sont cependant à l'origine des inconvénients qu'ils dénoncent.


Qu'est-ce que l'Occitanie, en fait ? Il y a l'ensemble Aquitain : Guyenne, Gascogne, Périgord, Béarn, Quercy et Rouergue ; les deux provinces d'Oc du Centre : Limousin, Auvergne (et dans tous ces pays, il n'y a pas, ou peu, d'implantation cathare) ; le Languedoc proprement dit : les comtés de Toulouse et de Foix, le Roussillon, les Cévennes, le Velay ; l'ensemble provençal enfin: Valentinois, Orange, comtat Venaissin, Bas-Dauphiné, Provence, comté de Nice.


Toutes ces entités régionales, déjà fort différenciées sur le plan géographique, n'ont ni la même histoire, ni le même fond ethnique, ni tout à fait la même langue, ni par conséquent la même culture. L'Aquitaine, par exemple, aboutissement des chemins de Saint-Jacques, avait une vocation internationale et regardait forcément vers l'Espagne et le Portugal. Ouverte à l'Angleterre, aux Flandres, à la Russie par l'Atlantique et les ports de Bordeaux, elle était en outre en relation beaucoup plus étroite avec le Poitou où s'étaient établis ses grands ducs, avec le Maine et l'Anjou des Plantagenets, qu'avec le Roussillon des Rois de Majorque ou l'Avignon pontifical. La Provence elle-même, arrachée très tôt à la Gaule par la fondation du comptoir grec de Marseille, puis par la conquête romaine, gardera toujours, à travers les Croisades dont elle fut la porte et le commerce du Levant dont elle était la clef, une vocation méditerranéenne. En ce qui concerne le Limousin et l'Auvergne, ils ont au cours des âges accentué leur appartenance aux provinces du Centre plus qu'à celle du Sud. Des traditions particulières fortes, ainsi que le quasi-royaume constitué par la Maison de Bourbon et qui englobait la Marche, le Bourbonnais, le Beaujolais, le Forez, les Dombes et l'Auvergne ont définitivement situé cette dernière en dehors de l'ambiance méridionale. Quant au Languedoc, qui est aujourd'hui l'épicentre de l'agitation "occitane", il occupe dans le sud une position médiane et a toujours exercé une forte influence intellectuelle. C'est la patrie du "Gai-Savoir" mais aussi, celle des rhéteurs, des théoriciens, des légistes. Réuni par héritage à la Couronne dès 1271, son destin politique sera désormais tout français. Et ce soi-disant vaincu finira par imprégner de ses coutumes son soi-disant vainqueur. C'est en tous cas l'avis de Mme Régine Pernoud qui note : «Les provinces nouvellement acquises ne seront pas traitées en minorités et ne connaîtront ni persécution linguistique ni oppression d'aucune sorte. On leur laissera leurs coutumes, ce droit écrit qui finira par réagir sur le droit coutumier et tendre à transformer la monarchie féodale en monarchie absolue, pour préparer le triomphe du droit romain lors de la Révolution Française». Ce sont les Capitouls de Toulouse qui - acte symbolique entre tous - ont jugé et condamné Montmorency, chef de la dernière révolte féodale contre Richelieu.


Tous ces pays comme on le voit ont donc une histoire qui leur est propre. Ils ont des contours particuliers, des pierres différentes. Ils ont été formés, avec des fortunes diverses, non pour se dresser en de mesquins et orgueilleux flots, mais pour participer à une aventure plus exaltante et plus haute. Ils doivent à cette aventure d'être ce qu'ils sont. Faute d'assumer pleinement leur destin politique (est-ce le plus important ?) ils ont trouvé dans le Roi fédérateur, et ensuite dans la République "une et indivisible", une protection contre les intrigues européennes, les ambitions de l'Empire ou de la Grande-Bretagne, et toute capacité d'être dans une liberté qui n'est jamais nulle part totale, mais qui était suffisante, si l'on en croit leur production d'hommes, d'oeuvres, de monuments.


En définitive, renoncer à la France "hexagonale", ce serait renoncer du même coup à la Gascogne et au Béarn - au Languedoc - au Limousin - à la Provence ; cela, au bénéfice de quelque organisation forcément détestable puisqu'elle serait sans unité, sans mandat, sans histoire - et sans nécessité. "L'Occitanie libre" est donc un rêve monstrueux, car il ne se fonde sur rien que de négatif. C'est un rêve contre la France qui utilise le folklore et la nostalgie au même titre que les bévues de l'État (Larzac, problèmes viticoles, etc. ). Le folklore est aujourd'hui livresque et la nostalgie forcément utopique. S'il est difficile de refaire ce qui a été défait, il est impossible de refaire ce qui n'a jamais existé.


Pour les penseurs modernes de "l'Occitanie" tout se passe exactement comme si la France n'était elle-même qu'une création artificielle qui se serait faite après quelque guerre de sécession au seul bénéfice du Nord. C'est oublier que la France de l'Unité précède la France de la division et celle du "Pré-Carré". La Gaule, qui avait à peu près les limites de la France actuelle, était, malgré son apparente diversité, un tissu sans couture, comme le prouve l'union de tous ses peuples autour de Vercingétorix. Le dernier bastion de résistance des Gaules, Uxellodunum, se trouve justement dans l'actuel Quercy. En devenant romaine, la Gaule, loin de perdre cette unité la renforce au contraire. On n'observe en tous cas aucune division "Nord-Sud" dans le découpage administratif créé par l'Empire. Aussi, les occitanistes se gardent de remonter plus haut que l'éphémère royaume Wisigothique - qui d'ailleurs, s'il allait de la Loire aux Colonnes d'Hercule, laissait la plus grosse part de "l'Occitanie" de l'Est au Royaume Burgonde.
Pour que les leçons de l'Histoire soient fructueuses, ne faut-il pas envisager toute l'Histoire ? Mais que ces commentaires rébarbatifs ne nous empêchent pas de sourire. Il est un mot plaisant de Henry IV aux Béarnais : "C'est par le Béarn que le Royaume de France fut annexé à la Gascogne". Jolie gasconnade qui pourrait être de toutes les provinces. Chaque partie est aussi importante que le tout. Sans elle, que serait-il? Sans lui, que serait-elle ? Le rôle joué par chacune pèse d'un poids fabuleux sur l'ensemble - et pas seulement au point de vue historique et géographique. La Bretagne, c'est, plus encore que Du Guesclin, les Guerres de l'Ouest ou Chateaubriand, l'inaltérable et précieuse réserve du "génie celte", qui est une de nos sources, et dont il importe de ne pas laisser tarir en nous l'influence. Dans la perspective humaine comme dans la réalité spirituelle, la France est un tout dont on ne saurait rien dissocier, - en fait ou en songe - sans gravement frustrer tout à la fois la patrie et l'ensemble. Imagine-t-on la France sans Henry IV et sans Montaigne ? Comment les pays d'Oc se passeraient-ils à présent de Molière, de Balzac et de Rabelais ? Lorsque chaque province a retrouvé l'antique union, cela a été une victoire pour elle et pour la France, un mutuel enrichissement. Le mariage alors contracté est indissoluble comme le prouve le drame national, si cruellement ressenti partout, que fut la perte de l'Alsace-Lorraine entre 1870 et 1914. Mais si "l'Occitanie" n'existe pas, il existe par contre un "génie d'Oc", commun aux trois grands ensembles méridionaux, l'Aquitaine, le Languedoc, la Provence. Qu'est-ce ? Ce n'est pas l'Histoire, ce n'est pas le brassage ethnique, si différent ici et là. Ce n'est pas non plus la langue. Que de variations d'accent, de nuances, de vocabulaire, d'une province à l'autre. Le gascon diffère du provençal, celui-ci du languedocien et du limousin. Ils ont donné lieu à des littératures, orales ou écrites qu'il ne convient pas de mélanger. Les efforts anciens ou récents d'unification du parler d'Oc aboutissent à une manière de sabir universitaire, trop systématique pour être fécond, et qui manque tout à la fois de souplesse et de force, de naturel et de densité. Ce n'est plus une langue maternelle, mais une langue purifiée - et donc stérile - qui sera peut-être écrite (avec la traduction en regard !) mais qui court le risque de n'être plus parlée. En fait, ce qui est commun à tous ces pays, une certaine façon de vivre, de rire et de penser, - une humeur et des songes - un climat, des paysages, des mythes, c'est justement ce qui ne peut et ne doit pas être défini - dont la mise en valeur culturelle est dangereuse car on tue ce que l'on définit froidement, et dont la mise en théorème politique serait éminemment néfaste. Les différences alors s'accuseraient jusqu'à créer de féroces divisions car, comme le remarquait déjà Michelet : «Le fort et dur génie du Languedoc n'a pas été assez distingué de la légèreté spirituelle de la Guyenne et de la pétulance emportée de la Provence. Il y a pourtant entre le Languedoc et la Guyenne la même différence qu'entre les Montagnards et les Girondins, entre Fabre et Barnave, entre le vin fumeux de Lunel et le vin de Bordeaux. La conviction est forte, intolérante en Languedoc, souvent atroce, et l'incrédulité aussi. La Guyenne au contraire, le pays de Montaigne et de Montesquieu, est celui des croyances flottantes... Le génie provençal aurait plus d'analogie, sous quelque rapport, avec le génie gascon qu'avec le languedocien. Il arrive souvent que les peuples d'une même zone soient alternés... etc. » (cf. Tableau de la France). C'est aux gens des pays d'Oc eux-mêmes à retrouver leurs sources et leurs racines. Nous doutons cependant qu'ils parviennent à cultiver ce qu'il peut y avoir de fructueux dans les particularismes lorsque ceux-ci se trouvent en quelque sorte confisqués par des revendications politiques et qu'ils se meuvent dans une ambiance de subversion. Quant à la langue, on peut également douter qu'elle redevienne universelle et vivante par le canal universitaire qu'on leur propose. Le génie d'Oc est essentiellement de caractère oral. L'éloquence populaire ne s'apprend pas à l'école : elle se transmet à la maison, engendrant ainsi toutes sortes de créations précieuses qui sont Poésie, et qui font qu'un pays reste vif par la conscience intérieure d'être. La conscience extérieure n'aboutit qu'à des théories desséchantes et à des utopies de politique-fiction qui ne s'incarnent pas dans la terre, et qui sont sans passé comme sans avenir.

Henry Montaigu


Pour rejoindre le site consacré à Henri Montaigu: "La place royale", cliquez sur le lien ci-dessous:


http://www.geocities.com/Paris/7265/montaigu.html