mercredi 25 juin 2008

Déclaration de l'Académie française du 12 juin 2008

(Cette déclaration a été votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008).

Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation.

Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.

dimanche 22 juin 2008

La Francophonie


Parmi les idées reçues attachées à l'image de la francophonie, le soupçon colonialiste n'est pas le moins tenace. Imaginée en 1880 par le géographe français Onésime Reclus, la «francophonie » désigne alors la communauté linguistique et culturelle constituée par la France et ses colonies. Mais ce terme tombe vite dans l'oubli. Paradoxalement, c'est la décolonisation qui permettra à la francophonie de renaître. En novembre 1962, le président et poète sénégalais, Léopold Sédar Senghor, écrit dans la revue Esprit le premier manifeste en faveur de la francophonie. En 1970, ses compagnons de l'indépendance, le Nigérien Hamani Diori et le Tunisien Habib Bourguiba, fondent avec lui, à Niamey, une institution internationale de coopération. « L'idée était de se servir du français pour se sortir de la colonisation, explique Foued Laroussi, chargé de mission pour la Francophonie à l'Institut des Sciences de la Communication du CNRS. La vraie colonisationétait exercée par l'autorité coloniale et non la culture française. Et d'ailleurs, quelle est la langue qui n'est pas issue d'une colonisation ? »
Aujourd'hui, l'institution de la Francophonie –avec un « F » majuscule -regroupe 68 Etats et gouvernements. « En s'élargissant, la Francophonie est de moins en moins coloniale, observe Michel Guillou, directeur de l'Institut Francophonie et Mondialisation à l'Université Jean Moulin à Lyon. Elle rassemble actuellement presque autant de pays qui ont été des colonies françaises, que de pays qui ne l'ont jamais été, ni de la France ni de la Belgique. »

VÉHICULER DES VALEURS COMMUNES

Autre poncif: en se focalisant sur la promotion du français, la Francophonie s'accrocherait à un combat d'arrière-garde. C'est oublier que son champ d'actions est beaucoup plus large: «En partant de la défense de la culture, la francophonie s'est progressivement ouverte à d'autres thématiques telles que les droits de l'homme, la démocratie, le développement durable », poursuit Foued Laroussi. Un engagement où elle trouve toute sa légitimité: « La langue n'est pas seulement un instrument de communication. Elle véhicule aussi un contenu culturel. Ceux qui défendent l'idée de francophonie se référent aux Lumières, à la Révolution française. Partager une langue implique une autre façon de penser le monde. »
Ces valeurs communes ont amené la Francophonie à jouer un rôle politique accru sur la scène internationale. En 1993, les pays francophones proclament leur volonté d'agir en faveur de la diversité culturelle face au souhait des Etats-Unis de libéraliser le domaine des biens et services culturels. La Francophonie prend alors la tête d'un combat aboutissant à la déclaration de Cotonou sur la diversité culturelle, conçue également comme une démarche au service de la paix. Un texte adopté en novembre 2001 par l'Unesco. Dès lors, la Francophonie milite sans relâche pour établir une Convention plus contraignante au niveau international: elle sera signée à l'Unesco, le 21 octobre 2005, par 148 pays sur 154. Seuls les Etats-Unis et Israël s'y sont opposés(1). Ainsi, contrant une mondialisation qui assimile la culture, les savoirs, les langues à des marchandises, la francophonie peut constituer « une autre mondialisation »(2). « Elle est une chance face à une mondialisation rampante qui, en visant une certaine uniformisation de la culture et des langues par l'hégémonie de l'anglo-américanisme, débouche sur une pauvreté linguistique et culturelle», commente Foued Laroussi.

CONSTITUER « UNE AUTRE MONDIALISAT1ON »

Pour Michel Guillou, la francophonie peut également apporter des réponses aux besoins d'échange, de diversité et de solidarité engendrés par la mondialisation:« Les aires linguistiques organisées, comme la francophonie, constituent des lieux privilégiés de dialogue, si nécessaires au moment où se développent des guerres de religions ou de civilisations.
Par une sorte de métissage des valeurs de l’Afrique et de l'Europe, la francophonie défend aussi les biens communs de l'humanité. »
Des régions du monde traditionnellement non francophones (Moyen-Orient, Amérique latine) réclament à leur tour de prendre part à la francophonie.
« Elles trouvent dans la réponse francophone un moyen de se défendre elles-mêmes et de défendre leur propre pluralisme linguistique, décrypte Foued Laroussi.
Car la francophonie incite à ce que les autres langues qui cohabitent en son sein puissent avoir leur place sur l'échiquier linguistique. »

DES ENTRAVES FRANÇAISES

Alors qu'elle est reconnue à l’étranger, la francophonie est boudée, voire malmenée, en France! Née hors de l’Hexagone, défiant le tracé arbitraire des frontières, ses atouts ne sont pas toujours bien perçus.
« Défendre La francophonie signifie aussi défendre une certaine diversité culturelle », note Foued Laroussi : une «polyfrancophonie», enrichie à la fois par l'immigration francophone et l'Outre-Mer. Selon Michel Guillou, « Les plus grand ennemis de la Francophonie sont les élites françaises qui, pour des raisons d'efficacité immédiate, se trompent de combat. » Le Parlement français a ainsi ratifié le 9 octobre dernier le Protocole de Londres qui supprime l'obligation pour les brevets européens d'être traduits en français. Cette dispense ne saurait profiter qu'à l’anglais, d'après ses détracteurs. Pour le linguiste Claude Hagège, « La tradition de promotion du français est en passe d'être abandonnée au profit des gros sous. D'autres pays, comme l'Espagne et l'Italie qui ont des économies aussi importantes que la nôtre, défendent aujourd'hui mieux leur langue que ne le fait la France. » Et Michel Guillou d'en appeler à « arrêter avec l'unilinguisme, à se poser enfin la question de la nécessité de la francophonie pour La France et de son utilité au monde. »

Dossier réalisé par Katia Vilarasau, paru dans « Valeurs mutualistes » de Janvier/février 2008


(1) Les Etats-Unis ayant considéré que ce texte pourrait être utilisé pour ériger des barrières commerciales contre leurs exportations. Israël les a soutenus en ce sens.
(2) In Demain la francophonie, par Dominique Wolton, éditions Flammarion, 2006.